Un patrimoine inestimable dont nous sommes les dépositaires


Authentique, puissant, un peu austère, le charme du Haut-Beaujolais exerce une irrésistible attraction sur ceux qui, parcourant les routes sinueuses de ce pays vallonné, éprouvent l’envie de s’arrêter pour répondre à ses appels : ici, des sous-bois très noirs, où s’enfoncent des chemins bordés de fougères, font signe par leur mystère, là s’ouvrent des perspectives sur des lointains bleutés qui séduisent le regard, là encore le creux d’un vallon déroule, au fond d’un pré parsemé de vaches blanches, les méandres d’une petite rivière merveilleusement transparente. Ces paysages, façonnés par le travail patient de générations d’éleveurs et de forestiers, opposent les crêtes couronnées de forêts aux vallons quadrillés de haies bien taillées, et conjuguent toutes les nuances de vert, de la tonalité lumineuse des prairies au registre plus sombre des douglas.

Les fermes, souvent bâties en équerre ou en U, d’une architecture simple et robuste, s’accommodent des pentes selon une disposition généralement dispersée ; les villages ou hameaux, eux aussi d’un aspect modeste et sobre, s’ils n’ont rien pour attirer le tourisme de masse, offrent au citadin le dépaysement le plus achevé : une place très vaste, une église généralement du XIXe, un bistrot, la mairie, un petit commerce de proximité parfois, voire une école ou une agence postale, concentrent dans un espace plus ou moins restreint toute la vie sociale d’une communauté humaine dans laquelle tout le monde se connaît. Pour un habitant des villes désireux de fuir la foule de ses congénères, agglutinés dans des sites touristiques bondés de boutiques, de restaurants et de bars branchés, rien de mieux qu’un petit village comme Saint Bonnet des Bruyères, Aigueperse ou Saint Igny de Vers… On respire, on marche, on croise les voisins, on s’arrête pour causer : c’est un autre rythme, une autre vie.

On ne se lasse pas de l’explorer, ce pays-là, à pied, à vélo ou en voiture, car la diversité des paysages permet différents types de randonnées, au frais dans les sous-bois quand il fait chaud, au soleil sur des chemins en belvédère quand il fait frais. L’automne y est particulièrement magnifique : si le douglas domine au sommet des monts, les flancs présentent des essences variées dont les tons rouge et or contrastent fortement avec le vert des résineux ; c’est aussi la saison des cueillettes : champignons dans les bois et les prés, noix abondantes que des noyers obligeants font pleuvoir sur l’asphalte des petites routes, mûres en quantité dans les haies qui bordent tous les chemins… Ici, les plaisirs ont le parfum de la campagne profonde : l’air ne résonne guère que des chants d’oiseaux, des meuglements des bovins, de l’aboi des chiens, du ronflement des tracteurs et de l’écho lointain des tronçonneuses au fond des forêts.

Puisse cette terre conserver ce caractère bucolique qui fait tout son charme, et rester préservée de ces usines verticales, totalement disproportionnées et potentiellement polluantes, que sont les éoliennes de 186 mètres de haut, d’une matière et d’une couleur foncièrement étrangères au site, dont on menace et les résidents, et les visiteurs de passage. Si les premiers, étant captifs, devraient se résigner à la perte de valeur de leur maison et de leur environnement, les autres, sans doute, délaisseraient le GR7 — qui traverse le champ d’implantation prévu — et iraient chercher ailleurs la paix et le dépaysement auxquels ils aspirent.

Frédérique Martin-Scherrer

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